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(Les lois de Parkinson)
Dans la haute finance, il y a deux types de personnes : celles qui ont beaucoup d’argent et celles qui n’ont rien. Un millionnaire sait parfaitement ce qu’est un million. Pour un mathématicien appliqué ou un professeur d’économie (qui vivent, bien sûr, dans la pauvreté), un million de livres est aussi réel qu’un millier, car ils n’ont jamais eu ni l’un ni l’autre. Cependant, le monde regorge de personnes intermédiaires qui ne comprennent pas les millions, mais qui sont habituées aux milliers. C’est principalement de ces personnes que se composent les commissions financières. Cela engendre un phénomène largement connu, mais encore inexploré : la soi-disant loi des sommes habituelles : le temps consacré à discuter d’un point est inversement proportionnel à la somme considérée.
En réalité, on ne peut pas dire que cette loi n’ait pas été étudiée. Des recherches ont été menées, mais la méthode adoptée ne s’est pas révélée efficace. Les scientifiques ont accordé une importance excessive à l’ordre des questions discutées et ont, pour une raison quelconque, décidé que le plus de temps était consacré aux sept premiers points, pensant que par la suite, tout se déroulerait naturellement. Des années de recherche ont été perdues, car l’hypothèse de base était incorrecte. Nous avons maintenant établi que l’ordre des points joue, au mieux, un rôle secondaire.
Pour obtenir des résultats utiles, oublions tout ce qui a été fait jusqu’à présent. Commençons par le début et essayons de comprendre comment fonctionne la commission financière. Pour que le lecteur ordinaire puisse mieux comprendre, présentons cela sous la forme d’une pièce de théâtre.
PrésidentNous passons au point 9. La parole est à notre trésorier, Monsieur Mac-Dub.
M. Mac-DubMesdames et messieurs, devant vous se trouve le devis pour la construction du réacteur, présenté en annexe N du rapport de la sous-commission. Comme vous pouvez le voir, le professeur Mac-Pup a approuvé à la fois le plan et les calculs. Le coût total s’élève à environ 10 millions de dollars. Les entrepreneurs Mac-Fut et Mac-Yard estiment que le travail peut être achevé d’ici avril 1963. Cependant, notre consultant, l’ingénieur Mac-Vor, avertit que la construction prendra au moins jusqu’en octobre. Il est d’accord avec le célèbre géophysicien, le docteur Mac-Grunt, qui pense qu’il faudra ajouter de la terre au fond du site de construction. Le projet du bâtiment principal se trouve en annexe IX, et les plans du réacteur sont sur la table. Si les membres de la commission le jugent nécessaire, je me ferai un plaisir de fournir des explications plus détaillées.
PrésidentMerci, Monsieur Mac-Dub, pour votre exposé exceptionnellement clair. Je vais demander aux membres de la commission de donner leur avis.
Arrêtons-nous ici et réfléchissons à ce qu’ils pourraient penser. Supposons qu’il y ait onze personnes dans la commission, y compris le président, mais pas le secrétaire. Quatre d’entre elles (y compris le président) ne savent pas ce qu’est un réacteur. Trois ne savent pas à quoi il sert. Parmi ceux qui le savent, seuls deux, M. Noy et M. Bruce, comprennent dans une certaine mesure combien cela peut coûter. Tous deux sont capables de dire quelque chose. Permettons-nous de supposer que M. Noy sera le premier à s’exprimer.
M. NoyEh bien, monsieur le président… Je n’ai pas vraiment confiance en nos entrepreneurs et consultants. Si nous avions demandé au professeur Sim, et que nous avions conclu un contrat avec la société « David et Goliath », cela serait plus rassurant. Monsieur Dan ne nous ferait pas perdre de temps, il nous indiquerait immédiatement combien de temps les travaux vont durer, et monsieur Solomon nous dirait clairement s’il faut ajouter de la terre.
PrésidentNous apprécions tous, bien sûr, l’enthousiasme de M. Noé, mais il est déjà trop tard pour inviter de nouveaux consultants. Certes, le contrat principal n’est pas encore signé, mais des sommes très importantes ont déjà été dépensées. Si nous ne sommes pas d’accord avec les conseils payés, nous devrons payer autant de plus. (Applaudissements approbateurs)
M. NoyJe demande néanmoins que mes paroles soient inscrites au procès-verbal.
PrésidentBien sûr, bien sûr ! On dirait que M. Bruce veut dire quelque chose ?
Justement, M. Brousse – presque le seul – s’y connaît dans ce domaine. Il pourrait en dire beaucoup. Le chiffre de 10 millions lui semble suspect – il est trop rond. Il doute qu’il soit nécessaire de démolir l’ancien bâtiment pour dégager un accès au terrain. Pourquoi tant d’argent est-il alloué aux « imprévus » ? Et qui est vraiment ce Grunt ? N’est-ce pas lui qui a été poursuivi en justice par une compagnie pétrolière il y a un an ? Mais Brousse ne sait pas par où commencer. S’il se réfère aux plans, les autres ne comprendront pas. Il va falloir expliquer ce qu’est un réacteur, et tout le monde en sera vexé. Mieux vaut ne rien dire.
M. BruceJe n’ai rien à dire.
PrésidentQuelqu’un d’autre souhaite-t-il prendre la parole ? Très bien. Donc, on peut considérer que le projet et le budget sont approuvés ? Merci. Ai-je le droit de signer le contrat en votre nom ? (Acclamations approbatrices.) Merci. Passons au point 10.
À part quelques secondes où tout le monde feuilletait des papiers et des plans, le point 9 a pris exactement deux minutes et demie. La réunion se déroule bien. Cependant, certains se sentent un peu mal à l’aise. Ils s’inquiètent de savoir s’ils n’ont pas trop failli lors de la discussion sur le réacteur. Il est déjà trop tard pour se plonger dans le projet, mais il serait bon de montrer, tant que tout n’est pas terminé, qu’eux aussi ne dorment pas.
PrésidentPoint 10. Abri pour les vélos de nos employés. La société «Kus et Chervi», qui a été engagée pour réaliser les travaux, estime que cela coûtera 350 livres. Les plans et les calculs sont devant vous, messieurs.
M. ToupNon, Monsieur le Président, c’est beaucoup. Je vois que le toit ici est en aluminium. Ne serait-il pas moins cher de mettre du feutre bitumé ?
M. GrubEn ce qui concerne le prix, je suis d’accord avec M. Toup, mais je pense qu’il faut couvrir avec du fer galvanisé. À mon avis, on peut s’en sortir pour 300 livres, voire moins.
M. SmelJe vais continuer, Monsieur le Président. Ce hangar est-il vraiment nécessaire ? Nous faisons déjà trop pour les employés. Et ils en veulent toujours plus ! Ils vont encore demander des garages…
M. GrubNon, je ne suis pas d’accord avec M. Smel. À mon avis, une grange est nécessaire. Quant aux matériaux et aux prix…
Les débats se déroulent sans accroc. 350 livres, c’est facile à imaginer pour tout le monde, et chacun peut visualiser un abri à vélos. La discussion dure cinq minutes, et il arrive parfois qu’on parvienne à économiser une cinquantaine de livres. À la fin, les participants poussent un soupir de satisfaction.
PrésidentPoint 11. Snacks pour les réunions du Comité de bienfaisance unifié. 35 shillings par mois.
M. ToupEt qu’est-ce qu’ils mangent là-bas ?
PrésidentOn dirait qu’ils boivent du café.
M. GrubDonc, ça fait… Alors, alors… 21 livres par an ?
Président. Oui..
M. SmelDieu sait quoi ! Mais est-ce vraiment nécessaire ? Combien de temps ils siègent ?
Les débats s’intensifient encore davantage. Dans chaque commission, il n’y a pas toujours des personnes capables de distinguer le feutre de la tôle, mais tout le monde sait ce qu’est le café, comment le préparer, où l’acheter et s’il vaut la peine de l’acheter. Ce point prendra une heure et quart, à l’issue de laquelle les participants demanderont au secrétaire de nouvelles données et reporteront la discussion sur la question à la prochaine réunion.
Il est approprié de se demander si un litige portant sur une somme moindre (disons, 10 ou 5 livres) prendra encore plus de temps. Nous ne le savons pas. Cependant, nous osons supposer qu’en dessous d’un certain montant, tout se déroulera à l’envers, car les membres de la commission ne pourront à nouveau pas le présenter. Il reste à établir la valeur de ce montant. Comme nous l’avons vu, le passage des litiges de vingt livres (une heure et quart) à dix millions (deux minutes et demie) est très abrupt. Il est extrêmement intéressant de déterminer la limite de cette variation. De plus, cela est important pour l’affaire. Imaginons, par exemple, que le point de non-indifférence se situe à 15 livres. Dans ce cas, le rapporteur, en présentant le chiffre « 26 » à la discussion, peut le soumettre aux participants sous la forme de deux montants : 14 livres et 12 livres, ce qui permettra d’économiser du temps et des efforts à la commission.
Nous n’osons pas encore tirer de conclusions définitives, mais il y a des raisons de croire que le point le plus bas correspond à la somme que le membre ordinaire de la commission n’hésiterait pas à perdre ou à donner à des œuvres de charité. Les recherches menées lors des courses et dans les lieux de prière aideront à mieux éclairer le problème. Il est beaucoup plus difficile de calculer le point le plus haut. Une chose est claire : il faut le même temps pour 10 millions que pour 10 livres. Nous ne pouvons pas considérer la durée indiquée (deux minutes et demie) comme parfaitement précise, mais les deux sommes prennent effectivement en moyenne entre deux et quatre minutes et demie.
Il reste encore beaucoup de recherches à mener, mais leurs résultats, une fois publiés, susciteront un immense intérêt et apporteront une utilité pratique.