
Qu’est-ce que la « révolution » ? Oh ! Quelle source inépuisable d’inspiration pour un humaniste ! Et quelles sortes de révolutions existe-t-il ? Est-ce qu’une contre-révolution est une révolution ? Que dit Marx, que dit Rabinovitch ? Divisons les révolutions en catégories. Velours, orange, d’en haut, d’en bas, spontanées, organisées. Et étalons encore ces catégories sur un spectre. Voilà, cette révolution est plus rouge que bleue. Et celle-là est plus orange que rose. Encore deux douzaines de thèses et de livres. Qui est le bénéficiaire de la révolution ? Si, disons, une révolution a eu lieu et que la classe dirigeante en place a été renversée, qui est alors aux commandes ? Ceux qui ont renversé ? Tout simplement comme ça ? Ou bien un groupe de filous s’est-il détaché de la foule des révolutionnaires, parvenant à s’installer sur le trône sur la vague de la colère populaire ? Et les autres, que deviennent-ils ? Que se passe-t-il en fait ?
Si l’on considère la Terre comme le centre de l’univers, alors la trajectoire des planètes dans le ciel sera complexe, sinueuse et mystérieuse. Tout devient beaucoup plus simple si l’on place le Soleil au centre de l’univers ou, en se grattant la tête, si l’on abandonne complètement cette notion de centre. Il en va de même pour la théorie sociale. On peut avoir des théories de la révolution infiniment complexes, utilisant un appareil catégorique ramifié, mais tout devient beaucoup plus simple, et aussi beaucoup plus intéressant, si l’on change de point de vue ou, en se grattant la tête, si l’on renonce à la notion même de point de référence.
Par exemple, on peut supposer que l’État n’existe pas. Il n’existe pas du tout. C’est quelque chose qui n’est présent que dans la mémoire des gens. C’est un certain construct, une idée, avantageuse pour l’élite dirigeante, afin de formuler l’appartenance de quelqu’un à quelque chose et de diriger ses instincts de troupeau dans une voie productive. Les gens commencent sérieusement à se demander si, par exemple, il est avantageux pour l’État de prendre un nouveau crédit du FMI ou ce qu’on peut faire pour que l’État aille mieux, ou encore de trouver des coupables pour ceux qui nuisent à l’État. Mais va demander à un certain Pierre pourquoi, par exemple, il te faut la Crimée, et il ne saura même pas quoi répondre. Mais il criera.
Il est beaucoup plus facile de collecter des impôts, si ce n’est pas un acte de racket d’un bandit armé, mais des « taxes pour l’État ». Pourtant, il n’y a aucune différence entre le racket et les impôts, même les objectifs sont formulés de la même manière : « pour se protéger des autres bandits ». Il est beaucoup plus facile de mobiliser la foule en lui inculquant une nouvelle idéologie, dont l’objectif sera « le bien de l’État ». Il est beaucoup plus facile de demander aux gens de mourir sous les balles, suspendus à des fils barbelés, si c’est « nécessaire pour l’État ».
La vérité de la vie est que la classe dirigeante volera toujours le peuple jusqu’à la dernière goutte. Que ce soit les «meilleures» ou les «pires» périodes pour l’État, tout ce qui peut être pris le sera. La limite se situe là où la majorité de la population dira «ça suffit» et ira chercher des fourches dans le débarras. Ce n’est pas un élan conscient d’une certaine «élite». C’est le résultat du braconnage de quelques «élites» qui s’accaparent tout ce qu’elles peuvent atteindre. Dans ce cas, la société sera toujours en équilibre sur le bord de l’explosion sociale. Peu importe à qui appartient la Crimée, à quel prix est le pétrole, combien demander au FMI, et qui est le président du pays. La vie du peuple ne s’améliorera pas. Ils prendront tout.
Permettez-moi de vous dire, mais qu’en est-il des hôpitaux, des routes, de l’éducation, de l’ordre public ? Il n’y a ici aucune contradiction. Tout d’abord, toutes ces choses sont créées, avant tout, dans l’intérêt des élites dirigeantes, au minimum pour mieux mener la guerre ou être mieux préparées à la guerre contre d’autres bandits. Deuxièmement, ces choses, les soi-disant biens publics, ne peuvent pas être créées par le peuple de manière autonome. Elles ne peuvent être créées que sous la contrainte. Et puisque le peuple, en l’absence de « l’État », n’est pas capable d’avoir des biens publics, la classe dirigeante, ayant créé de tels biens par la mobilisation forcée de la population, les vend ensuite à ce même peuple, et non les donne, et ce, à prix d’or. Comment les vend-elle ? En commençant par de la publicité bon marché avec la coupure de ruban à l’inauguration d’une nouvelle école, jusqu’à une « vente » plus subtile, où la présence d’un nouvel hôpital ou d’une route fraîche permettra d’extraire encore plus de ressources du peuple, sans provoquer de grogne.
Au-dessus, en deux mots, la théorie du bandit stationnaire a été décrite. C’est une théorie selon laquelle l’État se forme lorsque le bandit, ne trouvant dans les environs aucun village qui n’ait pas été entièrement pillé et n’ayant plus de moyens de subsistance, comprend qu’il vaut mieux ne pas tout piller, mais laisser un peu, afin que le village ne meure pas de faim, mais qu’il puisse ensuite être régulièrement exploité. De la même manière, l’homme, par rapport à la nature, est passé à l’agriculture lorsque la chasse ne pouvait plus nourrir la tribu. Tout dans la forêt avait été mangé. Cette théorie implique l’existence d’une certaine structure au sein de l’État, que l’on peut comparer à ce bandit. Mais alors, qu’en est-il des « démocraties occidentales » ?
En réalité, il y a beaucoup de bandits. C’est toujours une bande. Quoi qu’il en soit, ils se sont soit réunis pour faciliter leurs tâches, soit le destin les a réunis, soit, en commençant à « cultiver » un territoire, ils se sont retrouvés dans une situation où d’autres bandits (bandes) se trouvent sur ce même territoire et il faut négocier. Il est nécessaire de négocier, car il existe deux zones de conflit : la première est le volume privé de lait de chaque bandit, qui peut être augmenté en prenant chez son camarade de la serpenterie. La seconde est le volume total de lait du « territoire de traite ». Il ne peut pas dépasser le niveau de tolérance de la population.
Oui, les bandits doivent négocier. Tout comme l’OPEP négocie les limites de production de pétrole, les bandits dans des structures que l’on peut appeler « État », c’est-à-dire relativement stables, sont en état de contrat. C’est soit un contrat explicite, soit une « guerre froide », soit des relations de réputation de dissuasion, comme dans la mafia italienne. Si les bandes ne peuvent pas s’entendre, elles, mobilisant la population, commencent à se battre entre elles. Le prétexte de la bagarre peut être qu’un des bandits, ayant formellement acquis le pouvoir dans l’« État » et croyant que cela, comme on lui a appris à l’école, constitue un fondement pour usurper les ressources, cesse de partager avec les autres bandits. Alors, d’autres bandits installent sur la place centrale du pays une scène musicale avec d’énormes écrans médiatiques, distribuent des « oranges piquées » et mobilisent le peuple « pour le bien de l’État » contre l’usurpateur devenu trop arrogant. Au final, le peuple, qui était pauvre, le restera, mais l’usurpateur devra se retirer. Il est parfois bon que les bandits aient un certain « dispatcher ». Cela permet de résoudre les conflits sans avoir recours à des foules en colère. Mais alors, l’« État » devient dépendant de la santé de ce dispatcher. De plus, dans un tel État, il reste le problème du braconnage : en partageant, avec l’aide du dispatcher, les sources privées de ressources, ils continueront à exploiter le peuple jusqu’à l’épuisement. Il arrive que les bandits s’engagent sérieusement dans un contrat et ne le violent pas en raison de liens internes profonds qui rendent les bandits interdépendants. De telles organisations criminelles sont les plus stables, et ce que nous voyons comme résultat de « l’évolution de la société » est en réalité une typique « erreur de survivant » et le résultat de la sélection naturelle. Les États où un tel contrat n’a pas été atteint ne durent tout simplement pas longtemps. Oui, de tels États existent actuellement, mais ils sont tous soit relativement jeunes, soit il n’y a pas de contrats entre les bandits simplement parce qu’il n’y a qu’un seul bandit dans l’État, ce qui est extrêmement improbable pour de petits pays en termes de population. En d’autres termes, ces « démocraties occidentales » sont des organisations criminelles matures qui ont trouvé la formule d’un équilibre décentralisé.
Quel est le secret de leur succès ? Le secret est simple. Le contrat permet de résoudre le problème de la « production totale » et de créer un cartel, où les parties respectent des quotas de production, tout comme les membres de l’OPEP respectent leurs quotas de production de pétrole. La présence d’un contrat permet de s’éloigner de la pratique du braconnage et de l’exploitation des gens dans une course pour voir qui peut produire le plus. Pourquoi est-il avantageux de produire un peu moins que « à fond » ? Tout d’abord, cela permet d’augmenter la valeur du « baril de production ». Deuxièmement, cela permet de créer un « coussin de sécurité » en cas d’imprévus. En cas de guerre ou de catastrophe naturelle, un peuple qui n’est pas poussé à bout sera capable de résister à un plus grand choc qu’un peuple qui a été exploité jusqu’à la dernière goutte. Autrement dit, le « coussin de sécurité » est nécessaire pour la classe dirigeante tout comme les routes, l’alphabétisation universelle et un système de normes industrielles développé. C’est un moyen de protéger son territoire d’exploitation contre d’autres exploitants potentiels. Il devient clair que de tels « États » ne pouvaient se former que historiquement. Lorsque les frontières du « territoire d’exploitation » avaient des raisons naturelles. La présence de « frontières naturelles » déterminait à la fois les coûts de transaction inacceptables pour un bandit cherchant à changer de territoire d’exploitation, et les coûts de transaction inacceptables pour d’autres bandits désireux d’augmenter leur production aux dépens des autres. Il fallait soit négocier, soit disparaître de la carte politique. Aucun « État » dont les frontières ont été tracées artificiellement, à travers des ethnies, des cultures, ou des obstacles géographiques, ne sera probablement capable d’atteindre rapidement un accord parmi les bandits. Ils auront soit un seul bandit, soit seront constamment en état de guerre réelle (ou « douce ») entre bandes, soit la situation semblera équilibrée tant que le « dispatcher » est en vie.
Permettre à la population de recevoir un peu plus que ce qui est nécessaire pour vivre est également avantageux, car cette population n’a d’autre choix que d’investir ces excédents dans les affaires de ces mêmes bandits. Les bandits, en limitant leurs élans de pillage par un contrat, obtiennent des avantages supplémentaires. Ce contrat de ce type, ou la situation établie de freins et contrepoids, équivalente à un tel contrat, constitue également un bien public, mais seulement dans la société des bandits, entre eux.
Que se passe-t-il avec un « État » dirigé par des bandits-braconniers en cas de menace extérieure ou de catastrophe naturelle ? Cet « État » se retrouve dans une situation très difficile. Mortellement difficile. Il devient une proie facile pour d’autres bandits, surtout si à proximité se trouve non pas une « bande historiquement décentralisée » indifférente aux terres étrangères (car cette bande a depuis longtemps évolué de la chasse et de la cueillette vers l’agriculture), mais un autre groupe de braconniers, un « État-monobandit » ou un État de « braconniers avec un dispatcher ».
L’absence de menaces extérieures ne sauvera pas non plus la bande de braconniers en cas de problèmes graves. Nous nous souvenons que le peuple dans un tel État est constamment sur le point de dire « ça suffit, où sont mes fourches ». Et, lors de bouleversements sérieux, cette caractéristique est facilement franchie. Les personnes qui s’y connaissent en histoire se rappelleront immédiatement comment l’éruption du volcan islandais Laki, de 1783 à 1785, a conduit à une série d’années de mauvaises récoltes en France. En proie à des dettes, le roi de France Louis XVI n’était plus en mesure d’arrêter la crise ni de nourrir le peuple. Et le 14 juillet 1789, le peuple a pris d’assaut la Bastille, marquant le début de l’une des pages les plus sanglantes de l’histoire mondiale, connue sous le nom de Révolution française, qui a complètement redessiné la carte politique de l’Europe.
Mais aujourd’hui, les braconniers des pays en développement ne tenteront pas sérieusement, et pas seulement pour la propagande, de compenser les pertes de population, ne gèleront pas les crédits, ne verseront pas de compensations aux victimes, et ne s’occuperont pas des réfugiés. La vérité, c’est que les bandits braconniers n’ont pas peur. Ils ont un jet d’affaires prêt à décoller, et tout ce qui est le plus précieux, y compris les enfants, se trouve déjà depuis longtemps en dehors du territoire à exploiter.
Dans le chaudron bouillonnant des révoltes populaires, de véritables bandes armées finiront par se cristalliser, contrôlant de vastes territoires et exploitant la population qui s’y trouve. Les jeunes sans emploi ni moyens de subsistance n’auront d’autre choix que de rejoindre ces bandes. D’autant plus que l’arme à la main rend le sexe et l’argent plus accessibles. Ces bandes s’affronteront entre elles et avec les restes de l’« autorité légitime ». Elles adopteront des méthodes de gestion terroristes, car l’« influence douce », en raison de l’absence de légitimité, cessera d’agir. Elles chercheront des sponsors et du soutien à l’étranger, promettant une part dans la répartition des futures ressources. Des sponsors se trouveront, surtout si une catastrophe naturelle, débordant la coupe de la patience populaire, touche également les voisins, qui auront urgemment besoin de nouvelles sources de revenus. Les nouvelles bandes se consacreront à la fabrication et au trafic de drogues, aux enlèvements contre rançon, à l’exécution de « commandes » de bandes voisines. Il est possible qu’une de ces bandes ou un nouveau cartel parvienne à renverser les restes de l’autorité précédente, et alors les événements seront qualifiés de révolution, mais sans velours ni fleurs. Et si les anciens bandits réussissent à vaincre les nouveaux, cette période sera appelée « troubles ». Mais ce sera tout de même une guerre civile.